Qui sait s'il n'y a point un pollen des étoiles ?

Par Françoise Sylvos

2023

C’est un grand privilège que d’être invité à entrer dans l’univers mental d’une femme aussi intelligente et talentueuse que l’est Clotilde Provansal, d’y être accueilli et guidé grâce à une cartographie permettant d’externaliser ce monde intérieur en perpétuelle gestation. Cette carte mentale créée par l’artiste pour y « voir plus clair » n’est pas sans évoquer la grande tradition des cartes imaginaires, depuis la préciosité – avec la fameuse carte de Tendre - , jusqu’aux mondes enfantins de la fantasy.

Par intelligence, on entendra le sens de l’à propos de ces œuvres qui, sans pour autant faire appel au choquant ou au mauvais goût, saisissent, surprennent, interpellent et signifient. Loin de recourir à un sensationnel finalement trop facile, la fraîcheur de son regard traversant les règnes du végétal, de l’animal et de l’humain ne laisse pas indifférent. Cette fraîcheur se manifeste de manière sensible à travers les couleurs franches de la trilogie intitulée Dévoration pétillante. Nappe à carreaux rouges et blancs des plus simple, sur fond de laquelle tranchent le jaune d’un poussin et les motifs végétaux d’un bleu vert, comme découpés dans un style naïf. Notons au passage, en une même toile, la combinaison entre différentes approches de la peinture : perspective de la nappe à carreaux et, pareille à une ribambelle enfantine, frise unidimensionnelle de l’arrière-plan composé d’arbres.

Par talent, on entend l’incroyable audace et l’assurance de l’artiste recourant à différents supports, toile, papier plié, ready made, vidéos ; recourant à différentes techniques picturales ; dépassant les clivages entre sciences et arts et naviguant, toujours avec le même naturel et avec le même bonheur, entre ces domaines. À côté de pièces telles que les toiles rabelaisiennes et grand format de la Dévoration pétillante, on découvre des œuvres de petites dimensions et toutes en finesse, la gravure - dentelle réversible – du leporello Acclimatation.

Acclimatation, 2022
Détail. Impression numérique sur papier aquarelle, 200 cm, 40 ex.

On n’est pas si surpris d’apprendre que cette artiste, statisticienne de formation, a pour père un médecin. Elle s’avère fascinée par les instruments, par les gestes, par la patience des personnels de santé, ce qui n’est pas sans faire écho à une actualité qui mettait récemment – crise sanitaire oblige - les infirmiers et médecins sous les feux médiatiques et leur conférait une valeur héroïque. Conviée dans son atelier, j’apprends qu’elle a emprunté et détourné à des fins de création artistique la panoplie des centres de dialyse (Dialysis), ou des hôpitaux - corset destiné aux grands brûlés (À REFORMER), endoscope, ce qui lui a permis d’expérimenter de nouvelles techniques, telle la vidéo réalisée avec un matériel utilisé pour regarder à l’intérieur du corps humain, qui incendie littéralement le paysage comme le ferait le magma en fusion du Piton de la Fournaise. L’endoscope porte un nouveau point de vue sur la terre et projette une telle lumière sur le monde que Tout brûle dans l’heure fauve (vidéo de paysages).

Entrer dans le monde de Clotilde, c’est alors pour ainsi dire pénétrer dans ces fameux cabinets de curiosité de la Renaissance et de l’âge classique où se côtoyaient les tableaux de maîtres et les bocaux des naturalistes ; c’est encore renouer avec les théâtres scientifiques de cette époque durant laquelle les médecins, nommés hommes de l’art, pouvaient se donner en spectacle. La curiosité de celui ou de celle qui approche Clotilde Provansal est bien récompensée. La vidéo Dialysis dévoile au grand jour un véritable abécédaire de gestes de soins que, sans elle, beaucoup auraient ignoré. Mais s’il n’y avait qu’une intention documentaire, on serait loin de la richesse du court-métrage proposé dans cette exposition. Ici, l’on démultiplie les fenêtres sur la dialyse et sur l’écologie. La dialyse se veut appliquée aux arbres, dont on pique le tronc comme on piquerait le bras d’un patient. L’art de la mise en scène se manifeste dans le cortège solennel des soignants assemblés puis dispersés dans un parc verdoyant et débordant de sève, que l’on perçoit sous différents plans concomitants, et notamment sous l’œil d’un drone.

En somme, le corps est au centre de cet opus varié : qu’il soit seulement pressenti grâce à la dynamique exploratoire de celle qui part filmer Piton Fougère ; de celle qui se révèle, étonnamment, danseuse, au corps à corps avec le Vétyver dans Mes racines, et dont les longs cheveux noirs s’identifient aux plantes aquatiques, lisses, droites et souples comme des rubans ; que le corps s’affirme grâce au mouvement résolu de ceux qui marchent et mènent ensemble une bataille rangée pour le rétablissement de la santé des insuffisants rénaux et/ou des arbres ; qu’il soit perçu au prisme de la santé, grâce à l’usage de différents instruments exploratoires de l’intérieur du corps ; à travers le feuilleton des appétits rabelaisiens, dans le triptyque de la Dévoration ; anamorphosé dans le long ruban de l’œuvre Acclimatation, reliant des racines à d’étranges appendices musculeux, griffus, tentaculaires, cordons évoquant vaguement l’intimité ou une silhouette féminine. Si la peintre aime les jeux de mots, comme en témoigne le titre REFORMER, qui signifie à la fois reconstituer le corps (re-former) et changer les lois (réformer), elle avoue éprouver bien plus d’intérêt pour la gestuelle, pour le corps, qui se dresse, mi-mutilé, mi-résolu, et si magnifiquement moulé dans son corset réparateur. D’où, les vidéos muettes. D’où, l’idée géniale de retravailler des clichés d’endoscopies à l’eau-forte.

Pique-nique
Éclosion
Le pli

Dévoration pétillante, 2023
Triptyque, huile sur toile, 150 x 150 cm x 3.

Une dynamique exploratoire préside à la création et se décline à différents niveaux. L’artiste explore le terroir réunionnais pour s’y adapter et s’y enraciner comme l’expriment les titres Acclimatation et Mes racines, et comme en témoigne l’intérêt pour la coutume familiale et conviviale du pique-nique dominical. Cette dynamique investit et nous fait découvrir des espaces naturels d’un accès difficile tels que Beau Bassin. Enfin, Clotilde Provansal explore de nouvelles modalités du regard en détournant de leur usage ordinaire des outils médicaux. L’exploration est, pour cette artiste innovante, partie prenante du processus créateur. Mais elle est aussi un thème scientifique et artistique, qui éclaire la réalité sous des jours entièrement inédits. J’ai été particulièrement émerveillée par la manière dont le trait de dessin et l’estampe métamorphosent les clichés de la trachéoscopie. De ce qui pourrait être de l’ordre de l’organique sanguinolant, on passe à un rendu en noir et blanc qui déclenche en nous un travail de l’imaginaire. Le rêve est permis face à des artères qui évoquent la patte d’une créature préhistorique, à des sphères qui entourent une colonie d’être microscopiques tout en rondeur tels des bonshommes créés en gommettes. Ici, un motif du corps humain figure comme un œil intérieur qui nous fixe ; là, l’entrée d’une galerie semble nous aspirer et derrière celle-ci, nous imaginons, nouveaux spéléologues d’un corps onirique, une autre salle ou peut-être, qui sait, une galaxie intérieure. Au-delà de la cohérence interne de cette œuvre qui glorifie la vie en perpétuelle renaissance (REBIRTH) et ceux qui la protègent ou l’aident à se régénérer, l’ensemble de ces créations rend hommage à la profonde unité de la Nature.

Outre un regard, c’est donc une vision que nous propose cette exposition. Traversant les règnes et les corps, cette vision rejoint les intuitions des plus grands écrivains et artistes du passé, de ces poètes de la plume ou du pinceau qui, seuls, connaissent vraiment la nature, qu’il s’agisse de Bernardin de Saint-Pierre présupposant, dans les Études et Harmonies de la Nature, l’existence d’un créateur, d’après les parfaites analogies formelles des êtres et des paysages ou qu’il s’agisse de Victor Hugo rêvant dans les Proses philosophiques au foisonnement du monde sous-marin dont les reliefs et abysses semblent le miroir des terres émergées, postulant l’existence de marées dans les airs. Grâce aux œuvres de Clotilde Provansal, nous retrouvons l’émerveillement des premiers utilisateurs du microscope, découvrant des canaux ou des tapis de verdure dans une feuille observée à la loupe, des êtres minuscules dotés de nageoires dans une goutte d’eau et, dans l’infiniment petit, des univers qui semblent analogues à ce que l’on peut observer à une échelle plus vaste. Là réside la théorie romantique des correspondances. Ses traits et visions n’ont rien à envier à l’araignée symboliste d’Odilon Redon. Et l’on peut voir en elle une héritière du surréalisme, compte tenu de sa tendance à partir de la réalité la plus objective ou quotidienne pour, la bricolant, la trafiquant, la re-créant (REBIRD), mettre en marche le processus onirique et faire émerger un nouveau monde.


Traduction en créole réunionnais par Francky Lauret

Ki koné si na poin polèn dann zétoil ?

Sa in gran gran privilèz sa, lèr i di aou rant dann lunivèr limazinèr in fanm sitantélman intélizan é gabié kom Clotilde Provansal, kan i fé rant aou dann ron é i rouv out somin ansanm lékritir in kart i gingn fé sort déor in mond par-anndan toultan pou roénét. So kart pou lèspri, lartist la fé pou « oir pli klèr », i gingn pa san pasé fé mazine lo gran tradision bann kart limazinèr, dopi bann présié - ansanm lo famé kart La Tandrès - ziska lo mond marmay la fantasy.
Kan i di intélizan, i vé di lo bann zeuv i koz droit, san rai dann foutan obien dann tia-tia, i sézi, i sirpran, i sinial, i done le sans. Olié d’vol dann gro sansasion boudikont fasil fasil, lo nèv son rogar i travèrs roiyom plant, zanimo ansanm domoun, i lès pa lo kèr trankil. Lo rogar nèv lé la, i gingn trouv son tras dann vré koulèr lo troi-bout i apèl Dévorasion pou pétiyé. Nap karo rouz é blan lo pli sinp néna, in fan ousa lo jone in pousin i kri avèk détay plant koulèr blé vèr kom si la dékoup dann in léstil zanfan. Agard ankor, dési in minm toil, lo konplikasion rant diféran manièr kost la pintir : pèrspèktiv la nap karo épi, parèy kontine ti baba, in friz insèl di mansion par-dérièr fé ansanm piédboi.
Kan i di gayar, i vé di lé pa kroyab koman lartist la gingn lo kèr é koman li lé for lèr èl i ansèrv diféran supor, la toil, papié plié, ready made, vidéo, i pran diféran téknik zimaz, i désot griyaz i sépar la sians ansanm l’ar é i kanot minm, lo kèr toul­tan klèr é toultan kontan, rant so bann domène. Kosté koté bann piès gran forma kom Dévorasion i pétiy, toil i fé ma­zine Rabelais, i trouv bann zeuv an ti ti dimansion, fin fin minm, la gravur - dantèl dé koté - lo Leparela Aklimatasion.

Acclimatation, 2022
Détail. Impression numérique sur papier aquarelle, 200 cm, 40 ex.

Lé pa étonan aprann lartist la, i travay dann statistik, néna in papa doktèr. I oi son fasinasion pou bann zinstriman, bann zèst, pou la pasians domoun i fé travay la santé, sa i mank pa rant an léko ansanm zaktualité té i mèt na poin lontan - akoz la kriz sanitèr - zinfirmié ansanm mèdsin dann limièr bann média été lèv banna koman zarboutan. Invité dann son latelié, mi aprann él la prété é déviré, pou la kréasion artistik, lo panopli bann santre la dializ (Dializis), sansa lopital - korsé pou gran brilé (POU ROFÉ), landoskop, komsaminm li la gingn fé lèkspérians téknik nèv, kom lo vidéo fé ansanm matérièl pou louk par anndan lo kor domoun, i mét dofé dann péizaz kom koulé la lav Piton La Fournèz noré fé. Landoskop i rouv in nouvo gétali dési la tèr é i lans in kalité limièr dési lo mond komsi Tout i brui dann l’èr sovaz. (vidéo péizaz).
Désot baro lo mond Clotilde, lé kom rouv baro so léspès kabiné-d-kuriozité dann tan la Ronésans obien l’az klasik ousa tabla gran mèt té i marsh koté bokal siantifik la natir, lé ankor komsi i armay ansanm téat la sians lépok-la kansa doktèr, té di té in moun l’ar, té gingn amène zot travay an pèstak. Lo fourné sat i ariv koté Clotilde Provansal i gingn son bonbon. Lo vidéo Dializis i fé sort dann fénoir in vré lalfabé lo zèst lo soin, san él, bonpé noré inioré. Mésoman si navé rienk in lintansion dokimantèr, sré loin lo zarlor lo kour-métraz néna dann lèkspozision. Tèrla, i fé nèt bonpé fénèt dési la dializ ansanm lékolozi. I vé fé dializ piédboi, i pik lo tron kom noré pik lo bra in moun i gingn lo soin. I oir l’ar la mizansène dann lo kortéz solanèl domoun i soigne, ansanm-ansanm épila fane-fané dann in park la vérdir i débord la sèv, i gèt sou diféran plan an minm tan, avèk anpliskesa lo zié in drone.

Finaldokont, lo kor lé dann milié lo milié se l’opus tout kalité kisoi rienk an dovinay gras lo dinamik lèksporasion sat i sava film Piton Fougère, kisoi sat i tonm, an sirpriz, kom in dansèz, i batay ansanm vétyvèr dan Mon bann rasine, son gran sové noir parèy plant dann lo, sové réd, sové droit é souple kom ruban, kisoi ansanm krié lo kor akoz lo mouvman désidé sat i marsh ansanm-ansanm dann in batay la gèr pou armèt droit lo kor domoun néna problèm lo rin obien piédboi, kisoi ansanm la santé afèr i ansèrv diféran zinstriman pou èksplor par-anndan lo kor, kisoi a travèr féyton lapéti Rabelais, dann troi-bout la Dévorasion, kisoi dan lo form débouzé lo gran uban leuv Aklimatasion, i may rasine ansanm la trip lo miks, an grif, an bra zourit, an kordon i fé mazine in pé !intimité fanm obien son silouèt. Si lo fanm pint i ém zédmo, kom néna dan lo tit RÉFORMÉ, i vé di an minm tan rofé lo kor (ro-formé) épi shanz la loi (réformé), èl i arkonèt sak i intérès aèl i kour plis koté la zéstièl, koté lo kor, i drès, a demi mutilé, a demi désidé, sitantèlman gabié dann la moulir son korsé la réparasion. Alala pokosa, lo bann vidéo parl-pa. Ala ousa i sort, lidé zénial artravay foto landoskop an tèknik la gravur.

Pique-nique
Éclosion
Le pli

Dévoration pétillante, 2023
Triptyque, huile sur toile, 150 x 150 cm x 3.

ln mouvman lèksplorasion i komand la kréasion, i shanz dégré si diféran nivo. Lartist i vavang dann la tèr rénioné pou kol ansanm é pou pran rasine kom bann tit Aklimatasion avèk Mon bann rasine i anons, i suiv son lintéré pou la tradision alé an parti lo dimansh an fami, an dalonaz. Mouvman la i rant é i fé rant anou dan bann léspas la natir lé pa fasil trouvé kom Beau Bassin. Anfin, Clotilde Provansal i èksplor bann nouvo moyen pou lo zié gardé lèrk li détourne lo manièr normal ansèrv zouti mèdsin. Lèksplorasion, pou so lartist i invant, i fé parti son manièr-fé la kréasion. Mé lé osi in kozman dési la sians é dési l’ar, i éklèr lo réalité an gran dann in fason li la zamé sorti. Mon zié la bri an partikilié dovan lo manièr lo tré, lo désin an­sanm la gravur i métamorfoz foto filmaz la gorz. Dovan sak noré pi rét zorgane plin lo san, i baskil dann in travay noir é blan i fé lèv mazinasion. I fé lèv lo rèv dovan la vène i fé ma­zine la pat dinozor, dovan bann boui i antour in koloni mikros­kopik bien ron kom bonom an gomèt.Tèrla, in bout lo kor lé parèy in zié par-anndan pou gèt anou, la-ba, in lantré i rai anou dann tunèl ziska par-dérièr, ni mazine, an nouvo fouyèr d’kavèrn in kor lo rèv, inn ot sal, obien somanké, ki koné, in galaksi par anndan. Pli loin ke la lozik néna dann so leuv-la ki loué la vi toultan pou roénét (REBIRD) é tout sat i protéz la vi pou éd argingn lo kor, lo total kapital so bann kréasion i fé in lomaz lo gran linité la Natir.

Plis k’in rogar, lé in vizion minm lèkspozision-la i propoz anou. Dann la kroizé tout roiyom é tout kor, vizion-la i artrouv lintui­sion bann pli gabié zékrivin èk zartist lo pasé, so bann fonn­kézèr lèstilo obien pinso, zot tousèl i koné povréman la natir, kisoi Bernardin de Saint-Pierre pou kalkil, dann liv Zétud èk Larmoni La Natir, sirman néna in kréatèr akoz lo rosanblans tout kor ansanm tout péizaz, ou bien kisoi Victor Hugo pou rèv dann Praz filozofik dési lo mond néna an poundiak sou la mèr kom in miroir la tèr néna par-anlèr i poz néna kalité maré dann lé zèr. Gras lo bann zeuv Clotilde Provansal, nou artonb dann lémérvéyman bann promié moun la ansèrv mikroskop, lèrk i dékouv kanal sansa tapi la vèrdir dann in féy sou la loup, bann zét minuskul ansanm nazoir dann in gout dolo é, dan lo pli pti ziska linfini, kalité lunivèr i rosanm lé parèy sak ni gingn oir dann in pli gran léshèl. Tèrla minm la téori romantik bann ko­rèspondans i dor. Son bann tré, son bann vizion, na poin pou rai lo kèr dovan sinbol zarnié Odilon Redon. I gingn oir dann fanm-la in léritièr lo suréalism, si i tien kont son tandans trap lo réalité normal toulézour pou ar-kréé (REBIRD), dann in fa­gotaz, in trafikaz, pou fé lèv in prosésus lo rèv é fé sort déor in mond nèv.